A Nantes, un centre d’appel en milieu carcéral, interview de Xavier Girardot

par | Avr 13, 2021 | Entreprise, Métier

A Nantes il existe un centre d’appels que vous n’imagineriez pas ! Nos métiers sont très ouverts aux reconversions professionnelles, et certaines d’entre elles ont lieu à Nantes, derrière les murs du centre pénitentiaire.

Nous avons été à la rencontre de Xavier Girardot responsable de l’atelier de réinsertion, qui nous fait découvrir son Centre d’Appels.

Xavier, explique-nous en quelques mots ton travail.

Je suis responsable d’ateliers depuis 2003 au Centre de Détention de Nantes pour l’ATIGIP (Agence du Travail d’Intérêt Général et de l’Insertion professionnelle). 

Avec mes quatre adjoints, je pilote aujourd’hui deux activités : un atelier de DAO (Dessin Assisté par Ordinateur) qui emploie 16 opérateurs (détenus) et un Centre d’Appels téléphonique en phase de développement, qui emploie 6 téléopérateurs avec un agrandissement à 10 postes au 4ème trimestre 2021.

C’est quoi l’« ATIGIP » exactement ?

C’est une agence nationale qui est rattachée au Ministère de La Justice et qui a vocation à lutter contre la récidive en travaillant sur 3 axes :

  1. Le développement des peines sans enfermement, que l’on appelle les TIG (travaux d’intérêts généraux)
  2. Développer le travail et la formation à l’intérieur des prisons
  3. Accompagner l’insertion à la sortie de prison

Moi j’interviens donc sur le 2ème point. Vous pouvez en savoir plus en allant visiter le site http://tig-insertion-pro.fr/ 

Quelle est l’activité exacte du Centre d’Appels ?

Nous sommes un centre d’appels qui fait de la téléprospection uniquement en appel sortant et en BtoB. Nous travaillons généralement pour des clients au profil TPE/PME qui souhaitent une action commerciale rapide et de proximité. Nous avons également quelques clients institutionnels comme des CCI.

Quel est la différence entre les ateliers privés et ceux publics, notamment sur le sujet de la réinsertion ?

Il n’y a pas une énorme différence dans la mesure où l’établissement pénitentiaire qui nous accueille nous traite à égalité. Nous avons donc les mêmes charges et la même nécessité d’équilibrer financièrement notre activité.

Penser que les ateliers privés « exploitent » les détenus serait faux. Le travail en prison est très difficile à organiser, je ne connais pas d’entrepreneur qui ait fait fortune grâce au travail pénitentiaire.

Le travail pénitentiaire se doit d’être un engagement sociétal sans équivoque. C’est pourquoi l’agence a créé le Label « PePs »  – Produit en Prison.S – qui vise à reconnaître les entreprises qui font réaliser leur produit dans des conditions éthiques et responsables, notamment pour améliorer la rémunération et les droits sociaux. http://tig-insertion-pro.fr/label-peps/

L’avantage des ateliers ATIGIP est qu’ils bénéficient souvent des commandes publiques de l’état, ce qui permet d’assurer un fonctionnement plus serein et laisser plus de temps à l’accompagnement et la formation des détenus.

Cela permet aussi de mettre en place des activités plus novatrices comme notre Centre d’Appel à Nantes, en se donnant le temps d’arriver à maturité sans la pression du résultat financier.

Comment sont recrutés les détenus qui intègrent l’atelier de Nantes ?

Le travail est basé sur le volontariat, avec une liste d’attente des demandeurs de travail. Lorsque nous avons besoin d’un opérateur, l’établissement nous propose des candidats, je les reçois en entretien, et si cet entretien est positif, je le propose à la « Commission de Classement » de l’établissement pénitentiaire. C’est cette commission qui donne l’accord définitif au regard du dossier confidentiel du candidat, notamment son comportement en détention.

S’agit-il exclusivement d’hommes ? 

Oui, les prisons en France ne sont pas mixtes.

A Nantes, c’est un Centre de Détention pour hommes.

Sur certains sites, le centre détention pour hommes et celui pour femmes sont dans la même enceinte, et la zone de travail est commune. Les premiers ateliers de travail et de formation mixtes commencent à être créés depuis peu, comme à Marseille par exemple.

Est-ce que cette activité nécessite la présence d’un surveillant ?

Non. Notre environnement de travail ressemble à un environnement tertiaire classique, sans présence permanente de surveillant. Ils ne sont pas très loin et passent nous voir dans la journée, nous échangeons avec eux afin d’être au courant des problèmes qui pourraient avoir un impact sur le travail.

Le plus important au quotidien est de maintenir une ambiance professionnelle et apaisée.

Comment ces détenus sont-ils formés, accompagnés, suivis ?

La formation est réalisée en interne, par la superviseuse, Vera. C’est elle qui réalise l’accompagnement individuel, la montée en compétence.

Quelle est la journée ou semaine-type de Vera en tant que superviseuse ?

Le matin, les téléopérateurs ont leur petit moment ‘café’ tranquille avant de commencer, ce qui permet à Vera d’organiser la planification de la journée.

Lorsque les opérateurs commencent leur travail, elle est en quasi-permanence en mode ‘écoute’, à son bureau qui est sur le plateau.

La journée se termine à 16h00 pour les téléopérateurs. C’est alors le moment de réaliser les extractions et reportings à nos clients, qui n’ont pas d’accès direct aux outils puisque les postes des téléopérateurs et notre système n’est pas directement relié à internet.

Quel niveau de rémunération ont les détenus ? Et combien d’heures travaillent-ils?

C’est très disparate d’une prison à l’autre. A Nantes, les détenus travaillent 34h/semaine et sont rémunérés entre 4,62€ (le minimum légal en prison) et 6€ / heure.

Une partie de leur rémunération est mise de côté pour leur sortie, une autre est prélevée pour payer l’indemnisation qu’ils doivent à la partie civile, et le reste leur permet de « vivre » en prison en s’achetant un peu à manger, des habits, des affaires de sport, payer les lessives, etc…

Quels sont les donneurs d’ordre et comment allez-vous chercher de nouveaux partenariats ?

Nous travaillons pour 1/3 pour notre propre service commercial. Nous avons en effet 48 ateliers de travail dans des secteurs activités variés (façonnage, confection, menuiserie, métalerie) qui font travailler 1300 opérateurs détenus, et il faut donc régulièrement trouver du travail pour ces ateliers.

Pour les 2/3 restants, c’est souvent par bouche à oreille, ou sur des petites actions commerciales ponctuelles comme dernièrement en allant au salon de la relation client à Nantes.

Quel est votre positionnement tarifaire ?

Nous sommes attentifs à rester dans les prix du marché afin de ne pas être perçu comme de la concurrence déloyale. De plus, s’il est vrai que la rémunération est moindre en comparaison à celle de salariés classiques, la productivité est également très inférieure de par l’environnement et l’accompagnement important pour arriver à être très qualitatif dans nos prestations.

Est-ce que vous avez des contraintes spécifiques pour la signature des contrats ?

Nous sommes une entreprise publique qui fonctionne avec des relations clients-fournisseurs normales. Chaque prestation fait l’objet d’un devis ou contrat préalable, sans démarche particulière.

Les conditions sanitaires ont-elles eu un impact pour les détenus venant travailler à l’atelier, et sur leur travail ?

Oui, au-delà de la période de fermeture de 10 semaines, l’impact a été fort de par la distanciation sociale imposée dans l’établissement et lors de parloirs des détenus : ils ne peuvent plus avoir de contact physique avec leur famille, ils le vivent très mal.

D’une manière générale, l’environnement carcéral amplifie les problèmes psychiques et psychologiques. L’épisode sanitaire actuel est catalyseur, et nous avons ces derniers mois un turn-over très important car les téléopérateurs sont vites résignés face aux obstacles quotidiens dans leur travail.